Je continue ma route, inlassablement, sans but véritable, et je commence à apprécier la solitude. Moi qui suis habituée à être entourée de toute une cour, ce nouveau sentiment éclaircit mes pensées et me fait réfléchir. Je marche au pas sur un sentier, dans cette même forêt, sous la voûte de branches entrecroisées. La couleur des arbres a changé, depuis que je me suis enfuie. C’est l’automne. Les feuilles se teintent d’une délicate couleur qui oscille entre l’orange, le rouge, et le brun. Cette atmosphère me remplit de nostalgie, et des souvenirs d’enfance ressurgissent des tréfonds de ma mémoire, mais malgré tout, je suis heureuse. Il faut dire que je ne regrette pas mon ancienne vie !
J’entends un léger bruit de pas au loin qui me tire de mes rêveries et je me dresse, aux aguets. Puis le bruit s’estompe. J’attends quelque instants, mais le danger semble écarté. Rassurée, j’étends mon encolure pour saisir une touffe d’herbe tendre au sol, et mâche tranquillement, lorsque soudainement, une chose arrive vers moi à toute allure, comme animée de folie. En aucune chose, ceci ne me ressemble, avec sa tête ronde, et son encolure minuscule, sans parler de sa posture: il marche sur deux membres ! Ses habits sont en lambeaux, ses crins sont longs et crasseux, d’une couleur indéfinissable. Ceci s’avance vers moi comme un fantôme, un esprit, et semble même ne pas s’apercevoir de ma présence… Tout en lui exprime le désespoir le plus intense.
Cette Créature Volante Non Identifiée s'écrase dans ce qui doit être la seule flaque boueuse du sentier, et se relève, dégoulinante, ses beaux habits tâchés et terreux. Quelle singulière créature ! Ceci plonge alors son regard dans le mien, et semble se rendre compte de mon existence. Il reprend soudain contenance, ses lèvres s’étirent en une moue dégoûtée, il se redresse et son regard prend une assurance singulière. Je renâcle, comment cette chose ose-t-elle interrompre mon repas ? J’étends mon encolure vers son visage, -saisissant au passage son odeur putréfiante-, et m’exprime en ces termes :
-Bouh !
Il ne montre alors aucune peur, mais plutôt de la surprise, ouvre la bouche béatement -je comprends que me vue plonge certains dans un état proche de l'extase, mais soyons sérieux, un peu de retenue !- puis reprend ses esprits, et me regarde d'un air prétentieux, à un point prétentieux... c'est alors que monsieur s'enfuit en courant ! J'ai cependant le temps d'entrevoir une lueur rougeoyante sur son poitrail nu. Intriguée, je décide de le suivre. Ceci a réussi à éveiller ma curiosité.
Je m’avance à travers les arbres, et me mets à trotter, pour ne pas le perdre de vue. Il court toujours, le furet, et rien ne paraît pouvoir l’arrêter dans cette folle galopade… Mais quel en est le but ? Il a quitté le sentier, et nous évoluons maintenant à travers une canopée plus dense. Les troncs des arbres s’élargissent, l’espace entre eux se réduit. Il est favorisé par sa petite taille, mais je suis bien plus rapide ! Ainsi, au bout d’une longue poursuite, sa course ralentit peu à peu, je le sens à bout de forces. Il me mène près d’un ruisseau. Il se précipite, chancelant, vers l’eau cristalline et boit à longues gorgées, assoiffé. Cette course n’était pour moi qu’un échauffement; je suis endurante mais elle paraît avoir épuisé ses ressources. L’endroit est magique, comme hors du temps… Je me cache derrière un chêne ancestral, immobile, et écoute sa respiration ralentir, jusqu’à ce qu’il sombre dans le sommeil, blotti au creux des racines d’un vieil hêtre. Dans un pays à la fois si lointain et si proche…